Au-delà des études et des dénonciations régulières sur les injustices et les discriminations dont est victime la femme dans notre pays, on ne peut nier cette autre réalité prometteuse, qui montre que l’Algérienne a investi massivement l’espace public.
L’enquête publiée récemment par le Centre d’information et de documentation sur les droits de l’enfant et de la femme (Ciddef) vient confirmer l’état de mutation de la société algérienne et révèle les nombreuses contradictions qui la traversent. L’étude rendue publique à la fin février concerne en fait deux enquêtes menées en juin 2008 par Eco Technics, auprès des adultes (18 ans et plus) et des adolescents (âgés de 14 à 17 ans). Elle procède à des comparaisons avec les résultats d’une enquête réalisée auprès des adultes par le Collectif 95 Maghreb-Égalité (CME 95), en 2000. L’enquête du Ciddef énonce que seuls 3 individus sur 10 sont favorables au travail des femmes. La réaction des hommes célibataires par rapport à leur future épouse nous renseigne davantage sur l’insuffisante insertion des femmes dans le marché du travail : pas moins de 45% des hommes interviewés refusent le travail féminin, alors que 37% d’entre eux y sont favorables. Seuls 18% conditionnent leur accord par la naissance des enfants ou l’insuffisance de leurs revenus. De plus, on constate un recul dans les positions, aussi bien des femmes que des hommes. Alors qu’en 2000, un tiers des hommes était réfractaire au travail féminin, le taux a atteint les 38% en 2008. Quant aux femmes, 18% d’entre elles étaient opposées au travail féminin en 2000, contre 25% en 2008. Concernant l’éligibilité des femmes à des postes de décision politique (maire, députée ou présidente de la République), les avis des adultes et des adolescents se rejoignent. L’enquête dévoile ainsi que quel que soit le sexe, les personnes “très favorables” à l’implication politique des femmes (34% chez les adolescents et 34% chez les adultes) et les individus hostiles (38% chez les adolescents et 39% chez les adultes) sont presque à égalité. La surprise vient lorsque l’on procède à la comparaison entre 2000 et 2008 : les Algériens, tous sexes confondus, semblent moins disposés aujourd’hui à élire une femme à un poste de décision politique. Sur le registre de la polygamie, les adolescents se distinguent des adultes : 6 adolescents sur 10, soit 57%, sont favorables à la suppression de la polygamie, contre près de 5 adultes sur 10 (48%). Par ailleurs, 11% des adolescents et 15% des adultes justifient leur accord seulement si “la femme ne peut pas avoir des enfants”. La comparaison entre 2000 et 2008 montre, quant à elle, un recul sensible sur la question, puisque 41% des hommes et 62% des femmes étaient favorables en 2000 à la suppression de la polygamie, contre 40% pour les premiers et 55% pour les secondes en 2008. L’enquête du Ciddef aborde également le droit des femmes au divorce et met en évidence la régression sur ce chapitre : 34% des Algériens (dont 38% d’hommes et 31% de femmes) pensent en 2008 qu’il n’est pas raisonnable à une femme de demander le divorce si son mari prend une seconde femme, alors que leur taux n’était que de 29% en 2000. La même tendance existe dans le cas où une femme conditionne le divorce par l’interdiction de l’époux à la laisser travailler (78% en 2000 contre 89% en 2008) ou à la laisser poursuivre ses études (63% en 2000 contre 82% en 2008). La proportion des adolescents (9%), qui trouvent normal qu’une femme demande le divorce si le mari lui interdit de travailler à l’extérieur de la maison, de poursuivre ses études ou encore si celui-ci la violente ou désire prendre une deuxième épouse, est très faible. On retiendra cependant que plus de la moitié des personnes enquêtées (61% des adolescents et 64% des adultes) trouvent raisonnable que l’épouse demande le divorce en cas de polygamie et de violence exercée par le mari. En plus clair, les positions se durcissent notamment lorsqu’il s’agit du travail féminin ou des études de la femme mariée. Concernant le droit de garde des enfants par la femme divorcée, les choses n’ont pas vraiment changé en 8 ans : 62% des Algériens, tous sexes confondus, y sont favorables en 2008 contre 64% en 2000. Mais, un clivage net sur le sujet apparaît chez les adultes, entre les femmes et les hommes : 75% des femmes défendent ce droit de garde contre 55% d’hommes. Il est clair que l’étude du Ciddef nous aide dans l’approche de la société algérienne. Elle met surtout le doigt sur la difficulté qu’a cette dernière à assumer pleinement les valeurs de modernité et d’égalité. Dans leur conclusion, les rédacteurs relèvent qu’en 2008 la question des droits de la femme et celle relative aux valeurs d’égalité entre les deux sexes continue de diviser la société en deux grands courants. Sur un autre plan, ils notent que 19% d’Algériens, soit 2 Algériens sur 10, sont “nettement favorables” à une Algérie moderne, défendant l’égalité entre les femmes et les hommes. Ce courant d’opinion minoritaire, avertissent-ils, s’est affaibli au profit, non seulement du courant conservateur, mais également de ceux qui se dérobent derrière des positions du “centre”. À qui la faute ? Les initiateurs de l’enquête révèlent que des paramètres, comme la région, l’appartenance au sexe, la situation par rapport à l’activité et le niveau d’instruction, jouent le rôle “le plus discriminant” dans le façonnement des positions, y compris vis-à-vis des relations femme/homme. Bien que l’ordre d’importance soit différent chez les adultes et les adolescents. Chez ces derniers, à l’exception de la dimension régionale qui joue le rôle le plus discriminant, c’est surtout l’instruction des parents puis l’appartenance du sexe qui semblent le plus influencer leurs positions. Devant ces résultats, les rédacteurs de l’étude n’écartent pas le risque d’assombrissement des perspectives “d’une avancée plus grande et plus rapide des valeurs d’égalité”. Ils indiquent en outre que les adolescents, “ces adultes de demain”, ne sont pas “suffisamment armés pour se protéger contre les idéologies dogmatiques”, encore moins pour s’inscrire dans “une démarche d’ouverture d’esprit”, qui intègre largement les valeurs de modernité et d’égalité entre les femmes et les hommes d’un même pays. Au-delà des enquêtes, dont celle de la Ciddef, et des dénonciations régulières sur les injustices et les discriminations, dont est victime la femme dans notre pays, les responsabilités, en premier lieu celle de l’État, sont clairement établies : insuffisances contenues dans le code de la famille, regard, souvent exigeant et cruel, porté sur la femme algérienne, prêches haineux de certains imams, hésitations des dirigeants et démission de la plupart des partis politiques. Pourtant, on ne peut nier cette autre réalité prometteuse qui montre que l’Algérienne a investi massivement l’espace public et qu’elle apporte sa pierre à la construction de sa nation. En dépit des freins imposés par les conservateurs, plus prompts à céder aux islamistes, la femme algérienne est capable de penser toute seule et, en tant que citoyenne, elle a son mot à dire dans la société à laquelle elle appartient.