Liberté
Chronique (Lundi 26 Juillet 2010)
“Hizb França” et les hôpitaux de Paris
Par : Mustapha Hammouche
En apprenant que Tahar Ouettar s’est rendu, une nouvelle fois, à Paris, pour des soins, on ne peut s’empêcher de penser que, finalement, tous les chemins mènent à Paris, et surtout à ses hôpitaux, même pour les pourfendeurs de “Hizb França”, cette catégorie politique inventée pour stigmatiser l’expression francophone et mettre la pensée unique à l’abri de sa critique.
A contrario, l’arabe tient lieu d’attestation de patriotisme et de preuve de la conformité culturelle pour son locuteur. De cette posture doivent découler ses positions et en particulier tout ce qui peut polluer l’authenticité immuable —justement faite de “constantes nationales” ! – de l’Algérien. L’“occidentalisation”, version interne de “la colonisation” externe, est ainsi conjurée en même temps que ses attributs qui auraient pu profaner notre nature sacrée : laïcité, démocratie, droits de l’homme, liberté d’opinion, d’expression, de culte et citoyenneté de la femme…
Grâce au travail de sape de l’école et de la télévision unique qui, depuis des décennies, répandent le sentiment d’ostracisme, le raccourci simpliste qui déplace la question de l’universalité vers la “francophonie”, et de là vers la “francophilie”, connaît une certaine efficacité politique : la suspicion est jetée sur tout ce qui n’est pas formulé dans la langue de bois. L’illettrisme, paradoxalement fruit du système scolaire, facilite l’amalgame.
Même si la Déclaration de Novembre, la Plate-forme de la Soummam ont été rédigées en français avant que les Accords d’Évian ne soient négociés dans la même langue, on continue à inculquer aux générations de l’Indépendance la confusion entre patriotisme et arabisme.
Il n’y pas longtemps, un des plus éminents procureurs de “partisans” du français et de la France, l’ambassadeur Hadjar, quittait les fraternelles latitudes égyptiennes pour un séjour médical parisien. Quand c’est son confort personnel qui est en jeu, la “main (experte) de l’étranger” est la bienvenue et les inquisiteurs des connivences “francophiles” infligent allègrement le plus cinglant démenti à la méfiance contre “les menées néocoloniales” qu’ils nous enseignent.
Hier, le confrère El Khabar rapportait que “l’écrivain Tahar Ouettar est retourné se soigner à Paris”, à son tour.
Devant une si surprenante information, on ne peut pas ne pas se rappeler l’injure faite à Tahar Djaout, une des premières victimes de l’intégrisme islamiste : “C’est une perte pour la France”, disait alors celui qui semble aujourd’hui s’en remettre à la médecine de la France pour son salut !
Si Djaout, esprit universel d’expression francophone, est une perte pour la France aussi, il fut surtout une perte pour l’Algérie. Une perte d’autant plus cruelle qu’elle fut le fait de l’obscurantisme soutenu par des hommes “de culture”, un obscurantisme dont les bras armés jouissent aujourd’hui de l’empressement racoleur du pouvoir et d’une “élite” opportuniste.
Souhaitons un prompt rétablissement à l’écrivain, même si on était en droit d’attendre, âpre prosélyte de la chasse au “Hizb França”, qu’il refusât de recourir aux bons soins des Français pour se tirer d’affaire.
Et même si Djaout, qui manquerait à la France, n’a pas eu cette chance. Décidément, les voies du patriotisme arabo-islamique sont impénétrables. Celles qui mènent à Paris non plus.